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Found footage :entretien avec Stéphane Bex

Found footage :entretien avec Stéphane Bex

Paranormal Activity 4 (Joost, Schulman, 2012)

Paranormal Activity 4 (Joost, Schulman, 2012)

L'histoire est connue, c'est celle d'un faux documentaire sur une forêt hantée, écrit et tourné dans le Maryland en huit jours par deux jeunes réalisateurs – Eduardo Sanchez et Daniel Myrick. Petit film lancé grâce une campagne habile annonçant sur internet la disparition de ses trois acteurs, Le Projet Blair Witch devient le succès de l'été 99. Comme tous les grands films d'horreur, il fait date : pas seulement en raison du petit miracle commercial qu'il représente (le rapport budget/recettes en a fait l'un des films les plus rentables de l'histoire de l'industrie cinématographique), mais aussi parce qu'il pose une sorte de paradigme, parce qu'il définit de nouvelles manières de filmer la peur.

Blair Witch a remis au goût du jour le found footage, sous-genre quasi expérimental dans le cinéma de genre. Cannibal Holocaust (Deodato, 1980) et C'est arrivé près de chez vous (Belvaux, Poelevoorde, Bonzel, 1992) en avaient déjà défini la logique immersive, mais pas au point de bouleverser l'esthétique du cinéma d'horreur, pas au point de ringardiser d'un seul coup tout le reste de la production horrifique (notamment les néo-slashers que l'industrie s'était remise à produire après le succès Scream de Wes Craven). Tout au long de la décennie 2000-2010, le found footage s'est imposé comme le sous-genre le plus rentable du cinéma d'horreur, il a annexé tous ses territoires (films de zombies, de vampires, de fantômes, de cannibales, d'aliens...) et a assis sa domination sur la base de quelques succès emblématiques : Paranormal Activity (Oren Peli, 2007) Rec (Balaguero, Plaza, 2007), Cloverfield (Matt Reeves, 2008).

Accueillis en France avec beaucoup de réserve, voire de mépris, ces films ont souvent été ramenés, au mieux, à une formule commerciale, au pire, à une esthétique du déchet dont les productions de Jason Blum auraient médiocrement tracé la ligne discount, ils n'ont fait l'objet d'aucun travail critique. L'ouvrage de Stéphane Bex, Found footage: terreur du voir (paru chez Rouge Profond), est venu combler cette lacune. L'un de ses axes essentiels est la disparition : par sa nature de document trouvé, d'archive, le found footage atteste de l'existence de personnages qui ont disparu – c'est sur cet argument que Myrick et Sanchez ont fondé le buzz de Blair Witch (au point que les parents de l'actrice Heather Donahue aient reçu des messages de condoléances en 1999). C'est aussi sur cet argument que repose la réussite commerciale de Paranormal Activity : dans un chapitre brillant, Bex montre comment la franchise a bâti son succès sur des thématiques d'épouvante très classiques (le fantôme, la maison hantée) adaptées à une narration et un dispositif d'enregistrement proches de la télé-réalité. Le projet du film consiste à aller au bout de la logique du vide sur laquelle repose le spectacle télévisuel : « Etre filmé pour exister, écrit Stéphane Bex, est la leçon banale délivrée par la télé-réalité moderne qui taille des fakes d'existence comme autant d'habits commodes. [Dans Paranormal Activity], la présence de la caméra [...] renvoie un fantôme de vie, l'image spectrale d'un idéal familial mort avant d'avoir réellement existé. »

L'autre qualité de la franchise – et elle est en cela très représentative de l'évolution esthétique du found footage à la fin des années 2000 – réside dans son exploration des nouvelles technologies domestiques. L'usage de la Kinect dans Paranormal Activity 4 produit un effet d'abstraction dont le film tire parti : les personnages semblent moins assaillis par des esprits qui se manifestent la nuit que par leur propre reflet spectral, pulvérisé à l'écran en points lumineux sous l'effet de la Kinect.

Le found footage a donc toujours allié entertainment et expérimentation formelle, il a engendré récemment de nouvelles formes, comme celle du screen movie (film d'écrans), explorée astucieusement dans Open Windows et Unfriended (2014), dont il sera aussi question dans cet entretien.

Le projet Blair Witch (Myrick, Sanchez, 1999) - photo 1

Le projet Blair Witch (Myrick, Sanchez, 1999) - photo 1

Le projet Blair Witch - photo 2

Le projet Blair Witch - photo 2

Commençons cette discussion par deux images, extraites du Projet Blair Witch (1999). Pouvez-vous les décrire, me dire ce qu'elles vous évoquent ?

Ces deux images reflètent à mon avis la recherche d'une forme de primitivisme dans le found footage.  La première, le visage d'Heather (photo 1, ci-dessus), devenue icône du genre, est une désacralisation absolue puisqu'elle ôte de l'homme ce qui fait sa grandeur, sa beauté et sa transcendance : à savoir le visage, décadré ici comme s'il n'y avait plus qu'une moitié d'humanité. Et le plus horrible est que ce supplice ne lui est pas imposé de l'extérieur par une force hostile mais par elle-même. Le geste est symbolique, comme si quelqu'un se suicidait en posant une caméra sur sa tempe.  Sans visage, plus d'Autrui, plus de monde non plus. C'est l'enfer sur terre, l'absence de tout salut. C'est l'image peut-être la plus pessimiste de tout le genre.

La seconde (photo 2, ci-dessus) est tout aussi terrifiante mais moins pessimiste. Ces mains soulignent explicitement le caractère préhistorique du genre. Elles sont les marques laissées par les hommes, témoignage artistique retourné ici en preuve terrifiante d'un passé traumatique (les enfants tués). Les mains ont alors le même statut que les images du film : elles servent de mémorial pour des corps disparus. Sur la pellicule métaphorique que constitue le mur s'inscrivent des mains comme des photogrammes ; à cette différence près qu'elles ne sont pas générées par un enregistrement de la lumière mais de l'ombre. C'est le retournement de l'histoire en cauchemar.  On peut néanmoins trouver un peu grossier cette multiplication  des mains qui fait songer à un mur de maternelle au cours d'éducation artistique. Cloverfield dans son final retrouvait aussi quelque chose de primitif en isolant ces héros dans la Greyshot Arch de Central Park. Mais là c'est plus fin parce que plus inattendu et offre plus de contraste avec le décor urbain aux alentours. Finalement, ces deux images nous disent que les caméras sont des instruments qui détruisent l'homme et permettent de remonter le temps jusqu'au moment il n'était pas encore le maître du monde.

Les traces de mains m'évoquent un imaginaire de conte : c'est une image que je trouve très impressionnante, presque archaïque – je comprends que vous parliez de mémorial. A la suite de Blair Witch, beaucoup de found footage ont exploré cette notion de trace, ce qui paraît logique, c'est leur nature même de film trouvé, souvent rappelée par un carton introductif. Le film que l'on voit est donc le récit d'une disparition, les filmeurs ont disparu, il ne reste que des images.

Oui, les films du found footage ne parlent au fond que de notre disparition. Circulez, il n'y a plus rien à voir de l'homme que les images qu'il a laissées. Blair Witch est le premier et meilleur exemple de ceci. On sait que le cinéma « tue » symboliquement ses acteurs et que ce que les spectateurs viennent regarder, c'est un sacrifice symbolique, celui d'un acteur qui « meurt » mais pour s'élever jusqu'au rang de star. Pas d'apothéose par contre dans le found footage dans lequel on ne meurt pas pour grandir mais pour diminuer encore, s'effacer et se réduire dans les dimensions en devenant image plate, puis grain tourbillonnant dans la neige des écrans. Du corps glorieux au corpuscule anonyme en quelque sorte. C'est peut-être le signe de notre époque : vouloir tout voir et risquer de ne plus rien être.  Naître aux images et mourir au monde.

Unfriended (Levan Gabriadze, 2014)

Unfriended (Levan Gabriadze, 2014)

Une des expériences les plus radicales de ce point de vue est sans doute celle d'Unfriended de Levan Gabriadze (2014). Les personnages – des ados typiques d'un slasher des années 80 – sont regardés par leur webcam et se regardent à travers elle, ils échangent des banalités sur Skype, il n'y a pas de hors champ, pas d'autre imaginaire que celui de fenêtres ouvertes sur l'écran d'ordinateur, pas d'autre angoisse que celle de la trace laissée derrière soi sur la toile – qu'on voudrait voir disparaître. L'invité fantôme – qui est aussi le tueur – en agissant depuis le compte facebook d'une personne morte, se présente comme une figure fantomatique : c'est moins un personnage qu'un virus, un cheval de Troie.

Avec ce film, on opère à mon avis un tour de vis supplémentaire dans la défiguration de l'humain. Plus besoin d'images filmées désormais ; nos mémoriaux sont sur le net qui enregistre virtuellement l'ensemble de notre vie. Derrière l'accumulation des petites différences que nous croyons servir de rempart à nos individualités (la musique que j'aime, le film que je like) règne l'indifférencié de l'anonymat. Ce n'est plus ici une image qui tue mais la marque rémanente d'une vie sur les réseaux qui n'offre pour toute visibilité que l'image par défaut donnée par les programmes. Avant l'image affirmait son pouvoir en prenant la vie de l'homme. Désormais elle lui vole jusqu'aux fondements de sa représentativité. L'excès d'images (la scène humiliante qui se multiplie viralement sur le réseau) aboutit paradoxalement à leur défaut (l'anonymat), au freeze de la représentation comme les corps qui s'immobilisent dans le film au moment de la confrontation avec le fantôme. Ce que les réseaux ont inventé, c'est l'image collective qui est à la fois  celle de tout le monde et de personne ; à la fois image d'outre-tombe et image d'outre-monde, parce qu'elle s'enracine dans un lieu où l'humain n'est plus le paradigme. Une ruse d'Ulysse dans l'Odyssée d'Homère consiste à se faire appeler « Personne » pour échapper à la grotte du Cyclope dévorateur de chair humaine. Nous avons retourné la situation : c'est devant ces nouveaux cyclopes monstrueux que constituent les caméras que nous sommes forcés de devenir non plus des personnes, non plus des personnages, mais personne.

Unfriended (2014)

Unfriended (2014)

Avez-vous vu la "suite" de Blair Witch réalisée par Adam Wingard? J'ai pensé en le voyant à la conclusion de votre livre, où vous décrivez l'horizon proprement infini du found footage, les perspectives toujours nouvelles offertes par les nouveaux dispositifs d'enregistrement : la Kinect dans Paranormal Activity 4, le go-pro dans Afflicted (Prowse, Lee, 2014) et le drone dans Blair witch 2016.

 

Le dernier Blair Witch m'a un peu déçu. J'en attendais plus de la part de Wingard qui est un réalisateur intéressant et qui s'est déjà essayé à la forme du found footage avec originalité sur des segments de l'anthologie V/H/S. Peut-être a-t-il trop misé sur l'aspect technique aux dépens de la construction du récit. Le premier Blair Witch de Myrick et Sanchez, sous ses allures improvisées, est en réalité extrêmement bien ficelé, pour peu qu'on accepte de le considérer comme un récit classique et indépendamment de son mode de filmage ou de son dispositif théorique (un film est retrouvé qui remplace symboliquement des corps disparus). En outre, d'une certaine manière, ce dispositif est déjà connu puisqu'il reprend le fonctionnement classique de la tragédie dans laquelle on annonce aux héros leur destin dès le début de la pièce. D'entrée de jeu, dans le found footage, nous savons que les personnages ne s'en sortiront pas et nous venons assister au spectacle de cette prise de conscience par ceux-ci. Nous n'ignorons pas que cette mort est fictionnelle et l'époque est révolue où  on pouvait intenter un procès à un réalisateur comme Deodato en l'accusant d'avoir tué ses acteurs dans Cannibal Holocaust (1980). Je crois que le plaisir qu'on en retire est un peu particulier et qu'il s'appuie sur une connaissance à la fois plus fine et plus brouillée de la séparation entre réalité et fiction. Par exemple Heather, l'héroïne de Blair Witch, reste Heather dans Blair Witch à la fois comme personnage et comme actrice, ce qui est une façon de dire qu'elle n'est n'est pas tout à fait la première et qu'elle n'est plus également la seconde. On pourrait dire que, dans la fiction, elle constitue une actrice qui fait semblant de jouer son propre rôle tout en découvrant petit à petit que ce n'est pas elle qui dirige le truc. Le plaisir qu'on prend est alors de l'ordre de la métafiction, c'est-à-dire de voir mis à nu la fabrication du film en même temps que les obstacles qui l'empêchent. D'où ce paradoxe : dans le found footage, le film se fait tout en se défaisant.

 

Mais le plaisir vient aussi de l'usage qui est fait des technologies. A ce propos, l'utilisation du drone dans Blair Witch 2016 est assez étonnante : les images qu'il est censé transmettre doivent donner aux personnages une vue d'ensemble de la forêt – comparable à celle qu'on pourrait avoir sur google maps. Or, toute la dramaturgie du premier Blair Witch reposait sur l'égarement de Heather et de son équipe dans la forêt.

De nombreux found footage, par manque d'originalité, multiplient les sources de filmage là où le premier Blair Witch arrivait à un résultat très sophistiqué avec seulement deux caméras. Le principe d'économie est peut-être recommandable. Cette débauche récente d'effets fait songer à une forme d'exaltation baroque qui  poursuit la forme classique et en multiplie les enjeux vertigineux. C'est alors l'effet qui compte pour lui-même plus que la vision du monde qu'il soutient. Vous dites justement que la vue d'ensemble de la forêt permise par le drone dans le dernier Blair Witch s'oppose à celle qui reste, si l'on peut dire, à ras de terre dans le premier pour justifier l'égarement. A vrai dire, le drone n'aide pas les personnages, il leur donne même de faux espoirs. Wingard a sans doute voulu montrer que même le haut était en quelque sorte barré ; on ne peut s'enfuir nulle part. J'y vois également, outre le côté ludique du plan, une forme de nostalgie, comme si, en s'élevant, la caméra nous montrait un paysage symbolique, celui du found footage qu'elle regarde de haut parce qu'elle ne peut plus vraiment s'immerger dedans. Comme si aussi une forme de naïveté ou d'innocence s'était perdue. C'est un beau plan, mais un peu triste.

Blair Witch 2016 (Adam Wingard)

Blair Witch 2016 (Adam Wingard)

Je n'ai pas du tout ressenti cette mélancolie, je vois plutôt ce nouveau Blair Witch comme un film faisant feu de tout bois, qui se présente comme une suite, alors qu'il me semble plutôt être un remake actualisé du film de Myrick et Sanchez – s'adressant en cela à un public de 2016, avec des technologies de son temps. Au-delà du simple cas de Blair Witch, c'est ce qui me passionne dans le cinéma d'horreur et notamment dans le found footage : même dans les plus mauvais films, il y a toujours un moment d'expérimentation – comme les scènes du drone dans le film de Wingard. Le cinéma de genre actuel me paraît extraordinairement créatif.

Mais c'est vrai pour tout le cinéma! Quand Michael Mann tourne en HD avec une nouvelle caméra, la Thomson Viper, pour Miami Vice, ou quand Fincher tourne avec Gone Girl le premier film en 6K, ils ont la même curiosité d'explorer et de savoir ce qu'on peut faire avec ces outils. La différence est plutôt dans le faux amateurisme des réalisateurs de found footage et dans la convocation d'un matériel restreint, voire « pauvre ». C'est intéressant de voir par exemple la réaction de Barry Levinson, un réalisateur populaire  des années 90, quand il tourne The Bay, un found footage autour de l'écologie : alors qu'il commence le tournage avec un matériel de filmage pro pour dégrader ensuite la pellicule en post-production, il s'aperçoit que ça ne marche pas et il est obligé d'acheter des caméras à 60 dollars pour tourner le film ! Et il comprend à ce moment-là que ses cadreurs ne savent pas comment on tourne quand on est  amateur ; ils doivent tout désapprendre pour recommencer à filmer. Il me semble que cette anecdote montre bien là où se situe l'originalité du found footage ; ce serait à la fois la volonté de sortir d'un cadre de création institutionnel (le modèle hollywoodien pour faire vite), revenir à une forme primitive de filmage, brute et brutale, adapter des dispositifs déjà existants (celui du manuscrit retrouvé transformé en film retrouvé) et définir une forme de terreur plus immersive.

The Bay (Barry Levinson, 2012)

The Bay (Barry Levinson, 2012)

J'ai le sentiment que Le Projet Blair Witch a ouvert une voie, jeté les bases d'une recherche plastique propre au cinéma fantastique expérimental, mais cette voie a ensuite été plus ou moins détournée en circuit commercial – ce qui ne signifie pas pour autant que les films soient de qualité médiocre. Mais il faut quand-même poser la question de cette qualité, d'autant plus que la critique française a tendance à juger le found footage comme une formule – et ses dispositifs technologiques comme des cache-misère.

 

C'est pertinent de reposer la question de savoir si un found footage peut être un bon film. Si on ne se focalise pas sur l'aspect technique, un film de found footage peut être un bon film, c'est-à-dire soit un bon film de found footage, soit un bon film tout court et dans ce cas c'est une oeuvre qui est toujours un peu plus que le respect d'un cahier de charges esthétiques tenant à un genre défini. Le premier Blair Witch invente un nouveau rapport à l'image, plus viscéral, plus obscène aussi en un sens, qui le fait dépasser le cadre de modèle ayant déterminé les lois du genre. C'est un bon film selon les critères habituels d'un film de cinéma en général mais encore plus parce qu'il invente une nouvelle manière de voir. Pour prendre un autre exemple, je trouve également génial le August Underground de Fred Vogel qui pour beaucoup de personnes est ce qui s'est fait de pire dans le cinéma d'horreur et dans le cinéma dans son ensemble – d'ailleurs on ne le trouve même pas en vente en France. C'est dégueulasse, repoussant, odieux et l'image est  immonde, c'est vrai, mais en même temps, ça projette toute cette laideur et horreur dans une forme d'humour léger et libérateur. La vision en est peut-être une épreuve, comme le Massacre à la tronçonneuse de Hooper ou le Trash Humpers d'Harmony Korine, mais à la sortie, je suis heureux que de tels films existent, parce qu'ils brisent dans leur refus des conventions quelque chose de gelé en nous, le poids des habitudes et de la norme peut-être.

Trash Humpers (Harmony Korine, 2009)

Trash Humpers (Harmony Korine, 2009)

Encore faut-il accepter de se laisser ébranler. Je repose ma question : pourquoi la critique est-elle globalement passée à côté du found footage ? Pourquoi n'a-t-elle vu dans ces films que des sous-produits industriels – alors qu'elle capable, par ailleurs, de louer les qualités d'un blockbuster ?

Je crois que la critique française, moins éclectique peut-être que l'américaine, a assez rapidement catalogué le genre du found footage comme le résidu et le déchet de l'horreur classique qu'elle avait déjà largement attaquée. Found footage = cinéma poubelle et arnaque esthétique. Dans le meilleur des cas (Paranormal Activity par exemple), on reconnaît l'habileté mais c'est celle du roublard et du faiseur qui a trouvé le « truc ». Autant de haine contre un genre, quand on sait combien la série B, les films d'horreur et la science-fiction ont dû essuyer de semblables critiques avant de s'imposer, ça ne laisse pas d'interroger. Et c'est une aussi des raisons pour lesquelles j'ai écrit ce livre. Cet éreintage en règle me faisait penser à la façon dont tout le monde s'est déchaîné contre le Fight Club de Fincher à sa sortie, avant de retourner sa veste et déclarer que Fincher était un génie. Peut-être dans quelques années, on reconnaîtra Myrick et Sanchez, les réalisateurs de Blair Witch, comme des auteurs, et le petit bonhomme de Télérama ne tirera plus la gueule devant le Cloverfield de Matt Reeves. En tout cas, quand on veut explorer un sujet, ce dédain, c'est du pain bénit : personne n'avait envie d'écrire sur le found footage.


 

Quelles sont, finalement, les qualités essentielles du found footage et qu'avez-vous appris en écrivant ce livre ?

Je crois que le plus grand apport du found footage au cinéma réside dans l'alliance improbable entre technologie moderne d'enregistrement et primitivisme de l'image. Le cinéma immersif, le found footage  ne l'a pas inventé – il existe depuis les débuts – mais cette image si particulière qui prend à contrepied toutes les règles – de lisibilité, de perspective, de composition – on le lui doit. En gros, c'est le found footage qui illustre le mieux le travail de déconstruction et d'analyse critique des images qui s'est mis en place au tournant du siècle. Les images sont devenues, un peu à la manière de substances explosives, « instables » : elles ne distinguent plus aussi clairement ce qui en elles est  fiction ou  réalisme.

On vit à l'époque de la télé-réalité, soit de la réalité qui a besoin de se scénariser comme réalité fictionnelle pour paraître plus vraie. De même, la multiplication des formats (pellicule, analogique, numérique) a encore ajouté une couche d'incertitude quant à cette définition de l'image. Et l'utilisation du numérique qui reconstruit une image avec des algorithmes fait qu'on a basculé de la présence immédiate du monde (la captation par la lumière avec les anciennes pellicules) à la possible illusion (par le calcul du numérique). La réalité est devenue une hypothèse et un trucage. Le réel c'est maintenant ce qui nous hante à la manière d'un fantôme. Comment cela ne nous inquiéterait-il pas et comment cette inquiétude ne se transférerait-elle pas dans le cinéma d'horreur ? Cela ne signifie pas pour autant que tous les found footage aient ce souci d'affirmer un discours sur l'image mais ils en sont, des plus mauvais jusqu'aux meilleurs, les symptômes. Devant l'incertitude, on en revient à une forme de primitivisme, d'enregistrement brut du monde, pour découvrir que des forces hostiles s'y cachent, attendant pour sortir qu'on leur ouvre la porte.


Entretien réalisé par échange de mails, entre le 27 et le 30 octobre 2016.

Found Footage: terreur du voir est paru en mars dernier chez Rouge Profond.

 

Carton introductif du Projet Blair Witch (1999)

Carton introductif du Projet Blair Witch (1999)