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Entretien avec Bruno Forzani
Entretien avec Bruno Forzani

Le deuxième texte de l’année est un entretien que je publie à l’occasion de la sortie en dvd de L’Etrange couleur des larmes de ton corps. En septembre dernier, Bruno Forzani, co-réalisateur du film, a accepté de me rencontrer à Bruxelles pour me parler de sa cinéphilie, du processus de fabrication de L'Etrange couleur et de sa longue collaboration avec Hélène Cattet, sa femme. Au fil de la discussion, que je retranscris ici littéralement, se dessine une belle idée du cinéma de genre, bien peu partagée aujourd’hui. Très loin des recettes établies (que l'on songe à la façon dont Night Call récupère déjà l'esthétique de Drive), les films de Cattet et Forzani sont d'abord des aventures, des voyages où les architectures (un manoir dans Amer, un immeuble de style Art nouveau dans L'Etrange couleur) et les textures (les tissus, les cuirs, la peau) vibrent, s'ouvrent, se déchirent sous l'effet d'une violente pulsion érotique.

C'est sur la sensation de cette violence érotique (j'ai revu Amer quelques jours avant de rencontrer Bruno Forzani) que s'ouvre cet entretien, où la grande précision des références et des goûts de Bruno Forzani rendent compte du foisonnement que l'on sent à la vision de ses films. Cattet et Forzani sont des exceptions dans le cinéma de genre actuel: ils sont des exceptions parce qu'ils sont les seuls à faire la jonction avec un esprit psychédélique qui rayonnait encore magnifiquement dans Inferno d'Argento (1980). Quel film de 2015 nous offrira une projection en forme d'expérience, un trip comparable à celui qu'a pu être celui de L'Etrange couleur?

Alphaville60 : J’ai appris que tu t’occupais d’une programmation de cinéma bis à la Cinémathèque de Bruxelles.

Bruno Forzani : En ce moment, je programme Liquid Sky [un film de S.F canadien très psychédélique, sorti au début des années 80] et Malizia [de Salvatore Samperi, un des grands succès du cinéma érotique italien des années 70].

A : Je voulais justement commencer cet entretien par l’érotisme, parce que c’est ce qui me frappe en premier dans tes films. Dans Amer, la séquence de promenade de l’adolescente avec sa mère, la scène du taxi sont pour moi de très grands moments érotiques.

B.F : La scène de promenade dont tu parles raconte comment le personnage de l’adolescente découvre son pouvoir érotique : il y a deux points de vue qui fusionnent dans cette séquence, celui d’Hélène [Cattet], qui peut être celui de l’adolescente, et celui de la personne qui regarde l’adolescente, qui peut être le mien.

A : En tant que spectateur, j’ai plutôt l’impression que c’est tantôt l’un, tantôt l’autre point de vue qui domine dans vos films. Une autre séquence d’Amer – celle de la traversée du jardin d’un manoir – fonctionne sur un érotisme très méditerranéen, très féminin, je trouve : les tissus se laissent pénétrer par la lumière, c'est très beau.

B.F : Avec Hélène, on travaille beaucoup sur les textures : dans les séquences d’Amer que tu cites, les textures sont transparentes pour laisser passer la lumière, alors que dans L'Etrange couleur, elles sont plus brillantes que transparentes, cela participe au côté psychédélique du film.

A : Dans L'Etrange couleur, j'ai été surtout marqué par la scène de l'apparition de la femme nue sur le toit de l'immeuble : dans cette séquence, je ressens plutôt un imaginaire masculin. Comment cette scène, qui est la seule où le personnage principal sort de l’immeuble, a-t-elle été pensée par rapport à l’équilibre du film ?

B.F : Le héros, Dan, cherche sa femme et rencontre des personnes qui vont le faire avancer dans son enquête. Et tout à coup, sur le toit, en effet, on bascule dans un autre univers, qui a une dimension fantasmatique. Cette scène a été pensée comme déstabilisante : on voulait que le spectateur éprouve physiquement la sensation de cette femme nue dans Bruxelles, qui est une ville plutôt froide. Le découpage crée aussi cette impression de déroute, de désorientation. J'ai pris un très grand plaisir à découper cette scène.

A : La scène est aussi déstabilisante parce que cette femme semble à la fois étrange et accueillante : elle allume la cigarette de Dan, elle n'a rien à voir avec les autres personnages féminins du film, qui sont beaucoup plus agressifs.

B.F : On a essayé de faire en sorte que ce soit un moment de bien être, une bulle de réconfort. Ce côté rassurant vient peut-être d'un souvenir du Privé de Robert Altman, avec l'ambiance lounge et légère liée aux voisines du héros qui sont toujours sur leur terrasse le soir. J’ai aussi pensé à Body Double de De Palma, quand le personnage regarde la femme d'en face avec ses jumelles : il y a pour moi un côté très cosy, confortable dans ces séquences. Après avoir fait le film, j'ai relu Le Déclic de Manara, où il y a un passage érotique avec une femme sur un toit, ça m'a rappelé l'atmosphère de cette séquence.

Le Privé (The Long Goodbye) de Robert Altman (1973)

Le Privé (The Long Goodbye) de Robert Altman (1973)

A : Tu me parles de Manara, on peut voir aussi dans vos films des références assez nettes à Charles Burns, l'auteur de Black Hole (je lui montre les deux premiers tomes de Black Hole, que j'ai rapportés).

B.F : (Il ouvre le livre et me montre une page). Ces trois cases nous ont beaucoup inspiré pour la scène de taxi d'Amer : on voulait exprimer l'orgasme du personnage féminin par les mêmes décadrages. On aime beaucoup l'univers de Burns, on a failli travailler sur l'adaptation de Black Hole aux Etats-Unis.

A : Pourquoi ça ne n'est pas fait ?

B.F : Parce que le point de vue adopté dans le scénario nous paraissait trahir complètement l'esprit de Black Hole. Travailler sur des remakes ou des films de commande, ne pas pouvoir intervenir sur le scénario nous pose problème : les films que je fais avec Hélène viennent tellement viscéralement de nous qu'il est impossible d'imaginer qu'on puisse travailler d'une autre façon. Et de manière générale, le cinéma d'horreur américain nous intéresse assez peu.

Black Hole de Charles Burns (1995-2005)

Black Hole de Charles Burns (1995-2005)

A : Tu as vu les films américains d’Alexandre Aja, de Pascal Laugier, de Franck Khalfoun [La Colline a des yeux et Piranhas 3D d'Aja, Le Secret de Laugier, Maniac de Khalfoun] ?

B.F : J’ai beaucoup aimé le remake de Maniac, les scènes de meurtre sont magnifiquement chorégraphiées : pour moi, c'est du Argento d'aujourd'hui.

A : Maniac est quand-même exceptionnel par rapport à l’esthétique dominante du cinéma de genre actuel, aux productions de Jason Blum par exemple [producteur de Paranormal Activity, d’Insidious, de Sinister]. J’ai l’impression qu’Hélène et toi êtes les seuls à faire le lien aujourd’hui avec l’esprit psychédélique de L’Oiseau au plumage de cristal ou de Quatre mouches de velours gris.

B.F : Nos récits fonctionnent comme ceux d’Argento, sur le mode du rêve ou du cauchemar. De ce point de vue, Inferno a énormément compté, j'ai l'impression qu'avec ce film, Argento a touché des choses très intimes, très fortes :Inferno m’a vraiment fait très peur la première fois que je l’ai vu. Quand j'ai rencontré plus tard Argento, je lui ai demandé comment il avait écrit Inferno et il m'a expliqué que le récit reposait sur des correspondances, des associations d'idées, comme dans un rêve. C'est de cette façon que nous écrivons avec Hélène. Contrairement à ce que peuvent penser certains spectateurs, le récit ne passe pas au second plan au profit des motifs, ce sont eux qui racontent : les motifs sont les mots avec lesquels on raconte notre histoire. J’aime qu’un film raconte autre chose que ce que l’on voit en surface à l’écran, c’est ce qui se produit par exemple dans The River [de Tsai Ming-liang], l’histoire d’inceste, c’est la seconde couche. Ce film a beaucoup compté pour nous, au même titre que ceux de David Lynch (il cite Twin Peaks Fire walk with me et Lost Highway) ou Satoshi Kon. A chaque fois, il s’agit de raconter une histoire par en-dessous.

L'immeuble d'Inferno (Dario Argento, 1980)

L'immeuble d'Inferno (Dario Argento, 1980)

A : Ce que tes films ont aussi en commun avec ces modèles, c’est leur côté très sensoriel. Je n’aime pas trop employer ce terme, mais il faut reconnaître que L’Etrange couleur est une véritable expérience, certains spectateurs l'ont ressentie comme une agression. Les motifs sonores sont très agressifs, bien plus que dans Amer : j’ai même l’impression que plus on avance dans le film, plus le récit se construit, de manière compulsive, sur les sons et les bruitages, comme dans Berberian Sound Studio [de Peter Strickland].

B.F : L'agression que tu décris fait partie de l'expérience du film. Quand on l’a montré pour la première fois à des amis très proches, ils se sont sentis eux-aussi agressés, on s’est dit alors : «On est bien parti! ». Il faut savoir qu’on a fait le tournage sans son direct. Quand on a vu le montage-image, qui était muet, on ne retrouvait pas le vertige qu'on avait ressenti en écrivant. On a donc travaillé le son de manière très physique avec les basses, les fréquences, les rapports d'équilibre, pour produire quelque chose qui désoriente le spectateur. C'est le son qui nous a permis de retrouver ce vertige et de le faire éprouver au spectateur.

A : Et la couleur aussi.

B.F : Avec le DCP, on peut obtenir des rapports très violents entre les couleurs. Le spectre de la couleur est plus large qu’en 35mm : tu peux aller beaucoup plus loin dans le rouge, dans le vert, dans le bleu.

A : Peu de cinéastes d’aujourd'hui font de la couleur un enjeu aussi essentiel et cela est vraiment propre à vos films. Je me souviens très précisément d'une scène d'Amer, celle où la petite fille découvre ses parents en train de faire l'amour : le trouble de ce qu'elle voit s'exprime par des contrastes chromatiques très violents, vous utilisez successivement le bleu, le rouge, le vert comme pour décomposer la chose vue. Par ce travail, encore une fois, vous faites le lien avec l’esprit psychédélique du cinéma des années 70, je pense surtout à Suspiria [Argento, 1977].

B.F : C'est amusant que tu me parles d'Argento parce que pour cette scène, j’ai pensé très précisément à Derrière la porte verte [film pornographique américain des frères Mitchell, 1972]. Les séquences d'Amer ont été tournées avec des gélatines de couleur sur le plateau, on était donc plongé directement dans la couleur. On a procédé différemment dans L'Etrange couleur, parce qu'il fallait obtenir des effets stroboscopiques qu'on ne pouvait travailler qu'à l'étalonnage. Mais l'usage des trois couleurs primaires de L'Etrange couleur est aussi d'ordre émotionnel. Après, en analysant davantage, on pourrait dire aussi que chaque personnage a sa couleur.

Marilyn Chambers dans Behind the green Door (Derrière la porte verte, 1972)

Marilyn Chambers dans Behind the green Door (Derrière la porte verte, 1972)

A : Je ne sais pas si le spectateur peut s'en apercevoir, parce qu'il y a beaucoup de dédoublements dans L'Etrange couleur. Dan, le personnage principal, cherche sa femme dans l'immeuble et lorsque l'inspecteur de police arrive chez lui, on comprend assez vite, par l'usage que vous faites du split-screen, que le deuxième personnage masculin fonctionne comme une extension du premier. J'ai beaucoup pensé à De Palma à ce moment-là, parce que le split-screen est un procédé qui caractérise très fortement son cinéma.

B.F : Ce rapport à la dualité ne vient pas de De Palma. Pareil pour les split-screens : notre usage du split-screen ne correspond pas du tout à une volonté de reproduire le style de De Palma. Et je ne suis pas très fan de sa façon d'utiliser la musique, je la trouve trop présente, trop lyrique. Chez Argento, la musique est plus dissonante, certaines partitions de Morricone sont presque expérimentales. Quant aux dédoublements dont tu parles, c'est vrai qu'ils caractérisent notre conception des personnages dans L'Etrange couleur mais ils ne viennent pas de De Palma, je les perçois plutôt dans le giallo, où l'assassin représente souvent la part sombre du personnage principal, de ce qu'il ne fait pas dans la vie de tous les jours, de ce qu'il ne fait pas, par exemple, à sa femme.

A : Cette dualité ne vient-elle pas aussi de ta collaboration avec Hélène Cattet ? Vous travaillez ensemble depuis quatorze ans, ce qui fait de vous un cas unique dans le cinéma de genre : il y a très peu de films de femmes dans ce type de cinéma, et encore moins de films qui résultent d'une collaboration entre un homme et une femme.

B.F : Le fait de travailler ensemble doit avoir une incidence sur la conception de nos personnages, d'autant plus qu'ils ont généralement des univers assez torturés. Notre collaboration n'a pas été toujours simple sur L'Etrange couleur et si on travaille en ce moment sur l'adaptation d'un polar de Jean-Patrick Manchette [Laissez bronzer les cadavres], c'est pour sortir de l'univers qu'on a créé depuis nos débuts, trouver de l'air ailleurs. L'univers de nos films ne nous bouffe pas la vie non plus, c'est notre collaboration qui nous bouffe. Même s'il est difficile pour moi de rationaliser notre manière de travailler, je pense que l'impression d'agressivité que produisent nos films vient de là. La dualité de nos personnages aussi. Nous sommes deux extrêmes, cela se retrouve dans nos films.

A : On passe en effet dans vos films d'un extrême à l'autre: on parlait tout à l'heure de l'érotisme, mais on ressent aussi une très grande tristesse dans La Fin de notre amour [leur troisième court-métrage, qui raconte un suicide amoureux]. L'histoire d'Amer commence par un deuil et celle de L'Etrange couleur, par une disparition: la tristesse y est sans doute moins apparente parce qu'elle est très vite convertie en pulsion agressive. Mais le début d'Amer est extrêmement triste: le personnage de la petite fille n'accepte pas que son grand-père soit mort, elle imagine qu'il est encore vivant, qu'il a encore quelque chose à lui dire. Puis vient la séquence érotique, très lumineuse, de la promenade, lorsque la petite fille est devenue adolescente. On pourrait simplifier en parlant d'Eros et de Thanatos, mais ça me semble chez vous bien plus subtil, bien plus intime aussi.

B.F : C'est vrai que la la tristesse est très présente dans nos films. C'est lié, je crois, à la solitude de nos personnages, mais c'est aussi ce que j'aime dans le cinéma de série B italien, sa poésie macabre où des choses antithétiques se mélangent. Ces films me parlent à la fois d'amour, des relations dans un couple, de l'envie de l'autre, de la peur de l'autre, de l'inconnu. C'est ce trouble que nous essayons de communiquer au spectateur.

A : Mais la tristesse?

B.F : C'est parce qu'on plonge dans l'univers de nos personnages, on essaie de faire vivre leurs cauchemars, leur inconscient, leur perte. Cette part sombre me plaît beaucoup dans le giallo, par exemple dans les films de Sergio Martino : dans L'Etrange vice de Madame Wardh, le personnage d'Edwige Fenech a un univers intime complexe, elle a des relations très particulières avec son amant, très ambiguës, proche du S.M. Tous nos personnages ont cette dualité et nos deux films fonctionnent aussi sur ce principe : c'est lié à notre manière de travailler, de collaborer. Il faut qu'on accorde deux subjectivités, deux chaos et cela passe par des moments très conflictuels. Ces tensions se ressentent certainement dans nos films, dans nos personnages.

Edwige Fenech dans L'Etrange vice de Madame Wardh (Sergio Martino, 1971)

Edwige Fenech dans L'Etrange vice de Madame Wardh (Sergio Martino, 1971)

A : Tu me parlais tout à l'heure du remake de Maniac: quel regard portes-tu sur les parcours d'Aja et des cinéastes français de ta génération qui font du cinéma de genre aux Etats-Unis?

B.F : Maniac est vraiment pour moi une grande réussite, ça m'a fait penser à Bilbao de Bigas Lunas, un film où tu es vraiment dans le point de vue du tueur. Quand j'ai vu Maniac, je me suis dit qu'on pouvait faire des choses intéressantes sans forcément être l'auteur du scénario. Mais je ne sais pas si ça nous intéresserait vraiment avec Hélène de faire un film de commande...Quand j'étais ado et que je regardais des films d'horreur américains, ça m'a très vite lassé, c'était toujours la même recette: quand tu vois Halloween par exemple et que tu vois ensuite d'autres slashers, plus rien ne te surprend. Même si j'aime beaucoup Les Griffes de la nuit de Wes Craven, ce ne sont pas les films américains qui m'ont donné envie de faire du cinéma, mais plutôt ceux de Mario Bava ou d'Argento : ce que Bava fait des décors est terriblement inventif. Dans Hercule contre les vampires par exemple, il n'a aucun décor vu le peu de moyens dont il dispose alors que c'est un film d'époque, et il fait son film avec les trois mêmes colonnes antiques et de la fumée, le tout agrémenté d'une lumière colorée. Et on ne se rend pas compte de la "pauvreté" de la production, le film est super graphique : c'est un magicien!

Hercule contre les vampires (Mario Bava, Franco Prosperi, 1961)

Hercule contre les vampires (Mario Bava, Franco Prosperi, 1961)

A: Toi qui programmes du cinéma de genre à la Cinémathèque de Bruxelles, est-ce que tu partages le point de vue de Tobe Hooper, qui disait, à l'occasion de la ressortie de Massacre à la tronçonneuse, que le geste radical et outrancier de son film ne pouvait plus être reproduit?

B.F : Non, quand je vois The Raid 2 [Gareth Evans, 2014], je me dis que le cinéma de genre est bien vivant: dans les séquences d'action de The Raid 2, la violence est complètement décomplexée, cela s'explique peut-être par le fait que le film a été produit en grande partie en Indonésie. Après, il y a aussi des films transgenre que j'aime bien, comme ceux de Peter Strickland (Berberian Sound Studio) ou Nicolas Winding Refn (il cite Only God forgives)

A: Qu'est-ce que tu veux dire exactement par "transgenre"?

B.F : Ce sont des films qui travaillent sur le genre, mais pour sortir de la recette. Dans Berberian Sound, Peter Strickland s'inspire de l'esthétique giallesque, ou plutôt de celle de Suspiria, mais il sort de la recette en utilisant le point de vue du mec qui fait le son de ces films-là, ça crée tout à coup un autre langage cinématographique. Les premiers Gaspard Noé sont aussi des films transgenre: Seul contre tous est une variation sur le vigilante movie, Irréversible sur le rape and revenge movie.

A: Ces exemples montrent en même temps qu'il n'y a plus vraiment de territoire propre au genre: le cinéma de genre est partout, Only God forgives était sélectionné au festival de Cannes en 2013, tout comme Vengeance de Johnnie To en 2009. Qu'est-ce qu'il reste alors comme territoire pour un petit festival comme celui de Géradmer? Mister Babadook? Dans les années 80, ça me semblait plus cloisonné: Lynch et Cronenberg présentaient leurs films à Avoriaz et Wenders recevait la palme à Cannes.

B.F: Il doit y avoir, en effet, une partie de cinéma de genre qui s'est "auteurisée" mais il reste des propositions radicales, surtout dans les cinématographies "émergentes". Je te parlais tout à l'heure de The Raid 2, mais regarde A Serbian Film [de Srdjan Spasojevic, 2010]: quand tu voyais certains torture-porns américains, c'était plutôt des comédies, Spasojevic a fait un vrai torture-porn radical. Avant de le voir, j'ai retrouvé une excitation que je n'avais plus ressentie depuis longtemps: A Serbian Film a fait renaître les rumeurs qui circulaient autour de certains films qu'on voyait en VHS dans les années 80. Tout le monde disait n'importe quoi : interdit, pas interdit? C'était comme à l'époque de Cannibal Holocaust [Ruggero Deodato, 1980]. Donc, pour répondre à la question que tu me posais tout à l'heure, je crois que le cinéma de genre n'est pas près de mourir, il me semble même bien vivant.

A Serbian Film (Srdjan Spasojevic, 2010)

A Serbian Film (Srdjan Spasojevic, 2010)

Propos recueillis à Bruxelles, le 20 septembre 2014. Un grand merci à Dr Devo, sans lequel cet entretien n'aura jamais pu avoir lieu.

L'Etrange couleur des larmes de ton corps vient de sortir en DVD-Blu-ray chez Shellac.