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Aja doute (Horns d'Alexandre Aja)

Aja doute (Horns d'Alexandre Aja)

Aja doute (Horns d'Alexandre Aja)

Ig Perrish (Daniel Radcliffe) est accusé d'avoir sauvagement violé et assassiné Mirren (Juno Temple), son amour d'enfance. Alors qu'il écoute tranquillement chez lui Heroes de David Bowie, il découvre que sa maison est assaillie par une foule vindicative qui le désigne comme "le diable en personne". On veut la peau d'Harry Potter : voilà sur quel argument repose le scénario, très peu subtil, de Horns.

Nous ne sommes pas chez Bruno Dumont mais dans un film d'Alexandre Aja : le diable n'est pas pour lui un esprit qui se cache dans le cul des vaches ou fait trembler le corps des idiots, le problème est traité bien plus simplement, bien plus littéralement. Après une nuit très arrosée au cours de laquelle Ig Perrish a profané la chapelle ardente dressée en mémoire de Mirren (il a pissé dans des cierges), il se réveille à côté d'une fille et s'aperçoit que deux petites cornes ont poussé sur son front, faisant de lui un lointain cousin de Hellboy. Après un bref moment de stupeur, il comprend que ces cornes lui confèrent un pouvoir particulier : elles éveillent les bas instincts de tous ceux qu'il croise sur son chemin, prouvant que le diable est surtout en eux. Cela nous vaut quelques scènes de grotesque pur, où l'on retrouve l'outrance qui caractérisait déjà Piranhas 3D et certains moments de La Colline a des yeux : alors qu'Ig se trouve dans la salle d'attente, chez son médecin, il lit dans les désirs d'une patiente concupiscente qui lui avoue avoir envie de tromper son mari avec son professeur de golf (un Noir très bien membré, dit-elle). Au moment où il se réveille, un peu plus tard, sur une table d'opération (on a voulu lui ôter les cornes qui l'embarrassent tant), il est témoin d'un coït entre le médecin et son assistante : celui-ci venait de lui avouer, juste avant l'opération, qu'il ne pensait qu'à ça.

Dans cette partie satirique – une satire volontairement outrancière – le meilleur moment est celui où l'on voit Glenna, la fille avec laquelle Id a passé la nuit, s'empiffrer de donuts. Pourquoi mange-t-elle autant, lui demande-t-il ? Parce qu'elle veut être grosse, parce qu'elle se dégoûte, parce qu'elle en a marre d'être, pour les garçons, un coup d'un soir.

Cette scène est pour moi à l'image des derniers films d'Alexandre Aja : comme Glenna, ils avalent compulsivement les références, sans jamais connaître la satiété. Horns marque de ce point de vue le stade extrême de la boulimie : que le héros soit doté de cornes pouvait, après tout, être un argument intéressant qui aurait pu conférer au film une forme de bizarrerie, l'inscrire quelque part entre Jean Cocteau et le cinéma Z. Mais la compulsion l'emporte ici sur l'élaboration du récit et sur la construction des personnages, chaque scène semble avoir été écrite d'abord pour évoquer le souvenir d'une scène que l'on pourra reconnaître : une scène de noyade rappelle Insomnia de Christopher Nolan, les flashbacks sur l'adolescence du héros évoquent autant Stand by me et Super 8 que certains moments de La Fièvre du samedi soir (notamment lorsque Ig joue dangereusement autour d'un pont). Ce n'est donc pas l'adolescence du héros que l'on voit se dérouler, mais les souvenirs de spectateur d'Alexandre Aja, qui défilent sous la forme d'une compilation, agrémentée de quelques indices d'époque : la pochette de Diamond Dogs de David Bowie, un tee-shirt de Nirvana, une chanson des Pixies.

Après ces parenthèses nostalgiques – ce qu'il y a peut-être de meilleur dans Horns, malgré le poids des références - le film en revient à son scénario : il doit régler la question de savoir qui a violé la pauvre Mirren en pleine forêt, sous la cabane de Stand by me. Aja essaie alors de faire preuve d'efficacité, basculant brutalement du côté de Dead Zone de Cronenberg : Ig découvre en effet qu'il a le pouvoir de lire dans le passé en touchant les personnes qu'il croit impliquées dans le meurtre. La scène de crime se reconstitue donc peu à peu, à travers une esthétique gore assez paresseuse (un crâne défoncé à coups de pierre, un serpent qui sort du ventre du meurtrier), ou à travers une scène de bad trip qui est le moment le plus catastrophique du film : l'image devient floue tandis que le frère d'Ig, gavé de pillules, s'enlise dans la moquette de son salon; on croirait être dans Trainspotting.

On se dit alors que quelque chose a changé dans la façon dont Aja envisage aujourd'hui l'horreur. Ce ne sont plus les effets d'apparition qui l'intéressent - la première partie de Haute tension était assez remarquable de ce point de vue : Philippe Nahon y arrivait comme un boogeyman sorti des rêves sombres d'une jeune fille - ce qui le passionne aujourd'hui, le finale de Horns le montre assez clairement, c'est l'hybridité, les métamorphoses. Le choix de Daniel Radcliffe dans le rôle d'Ig résume à lui seul cette évolution : s'éloignant de l'horreur, Aja voudrait aujourd'hui investir le territoire d'Harry Potter et de toutes les franchises pour ados qui en ont été les ersatz (Narnia, Percy Jackson, Twilight). Ce rêve prend forme à travers la métamorphose finale d'Ig Perrish en Voldemort (avec invocation de serpents, au cas où l'on n'aurait pas compris), mais le héros finit en tas de cendres, comme un jouet que l'on jette au feu parce qu'on ne sait plus quoi en faire.

Dès lors, il est difficile de dire, en sortant de Horns, à quoi pourrait ressembler l'avenir d'Alexandre Aja : va-t-il réaliser le prochain épisode de Percy Jackson, ou va-t-il essayer, comme l'ont fait par exemple Guillermo del Toro ou Gore Verbinski, de créer, au sein de l'industrie, son propre bestiaire, sa propre mythologie ? Bien plus de que savoir qui a tué Mirren, c'est la seule question qui soit un tant soit peu intéressante dans Horns : la mauvaise pente sur laquelle glisse le film dans son finale laisse peut-être entendre que le choix est déjà fait.