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Visite d'Amityville (Conjuring: le cas Enfield de James Wan)

Visite d'Amityville (Conjuring: le cas Enfield de James Wan)

Après le succès de Conjuring : les dossiers Warren (sorti en France durant l'été 2013), la Warner double aujourd'hui la mise en consacrant au second opus un budget de quarante millions de dollars (soit deux fois plus que le premier). Cet investissement s'explique avant tout par l'ambition, commune au studio et à son exécutant, James Wan, de réécrire les grands récits de possession démoniaque du cinéma d'horreur des années 70 (L'Exorciste, Amityville). On avait déjà signalé sur ce blog les limites d'un tel exercice de style : Wan est un excellent technicien (la première partie du Cas Enfield frôle même la perfection), mais sa maîtrise technique rencontre les limites d'un scénario trop bien ficelé, où les démons manquent étonnamment de malice et se contentent de déplacer des objets, de faire claquer des portes, avant d'investir, ici, le corps d'une adolescente plus ou moins destinée à revivre le calvaire de Linda Blair dans le film de Friedkin.

De ce point de vue, le Cas Enfield est un merveilleux titre : le « cas » y est à la fois à une occurrence (les démons investissent cette fois une maison en Angleterre) et un problème pour lequel les époux Warren (Vera Farmiga et Patrick Wilson) sont dépêchés en tant que spécialistes du paranormal. Le cas en question ne souffre pourtant pas la moindre ambiguïté : la petite maison de la banlieue de Londres est bien le théâtre d'une affaire de possession, une brave famille subit les assauts d'un poltergeist que les experts vont détruire méthodiquement. Lorsqu'un rebondissement nous écarte du paranormal, sapant, en une scène très habile, toute la construction fantastique du récit (la jeune fille est-elle vraiment possédée?), on y revient aussitôt sur un mode cher à James Wan: celui du jeu. Jeu démoniaque (un démon peut en cacher un autre) et jeu de devinettes dont la réponse se trouve inscrite dans la Bible de Lorraine Warren.

Réponse logique dans un récit de possession : Damien Karras et le père Lankester récitaient aussi beaucoup de prières en latin dans L'Exorciste. On retrouve dans la cérémonie d'exorcisme qui règle le cas Enfield tout le bric-à-brac engendré par le film de Friedkin : corps de jeune fille en lévitation, crucifix retournés dans tous les sens et injonctions lancées contre le démon sur le mode classique du vade retro satanas. La promotion américaine du film s'est même construite sur une campagne de bénédictions lancée par des prêtres dans plusieurs salles de cinéma avant la projection du film. Campagne presque grotesque au regard de l'issue du film (l'éradication pure et simple du Mal) et de la parabole sur l'amour qu'il raconte en creux (le couple de ghostbusters étant invincible car très amoureux).

On peut donc se demander, comme pour le premier Conjuring, ce qu'il y a de diabolique dans une telle entreprise. Les ruses du Malin ne sont pas nichées dans le scénario, dont les fils se dénouent un à un pour tendre vers un épilogue sans ambivalence. Elles se situent plutôt dans la mise en scène de Wan, qui se tient parfois à la hauteur de celle de Shyamalan quand il s'agit de scruter les recoins d'une chambre d'enfant ou de transformer la traversée d'un couloir en épreuve de conte. Mais Shyamalan a récemment parodié ses propres contes horrifiques dans The Visit : la rencontre avec l'esthétique de l'horreur contemporaine (celle de Blumhouse) a produit ce récit grinçant, où les figures classiques de l'horreur, déstabilisées, peinent à susciter l'effroi. Le film de Wan, qui s'inscrit plutôt dans un courant néoclassique, ne peut jouer sur le second degré, son esthétique rétro et sa nature de produit de luxe lui interdisent de jouer sur l'ironie : on est là pour faire l'expérience d'un Amityville anglais.

Amityville (The Amityville Horror, Stuart Rosenberg, 1979)

Amityville (The Amityville Horror, Stuart Rosenberg, 1979)

Comme d'autres réalisateurs de sa génération (Aja par exemple), Wan n'est jamais aussi à l'aise que dans le remake. Cette démarche est généralement dénigrée par les amateurs du cinéma de genre, qui, à force de sacraliser les classiques des années 70-80, en font des œuvres mortes uniquement destinées à la monumentalisation. C'est pourtant lorsque Wan refait Amityville que Le Cas Enfield échappe à sa logique un peu plate de film d'exorcisme pour révéler son seul véritable enjeu : revisiter un pan du cinéma d'horreur à travers une petite maison anglaise. Le principe, déjà expérimenté dans la première saison d'American Horror Story (Murder House: 2012) a engendré une suite d'épisodes inégaux, parfois brillants, mais trop ouvertement parodiques. Wan, cinéaste conscient d'arriver après l'âge d'or du genre, ne cède rien à la parodie : lorsque Lorraine Warren revisite la maison d'Amityville, elle le fait en mode joueur, comme dans une séquence de jeu où elle se projetterait dans son avatar. L'expérience, effectuée très sérieusement, révèle, dans les recoins de la maison, le véritable démon du film.

C'est ici qu'il faut souligner la grande intelligence de Wan : alors que tout son récit chemine vers une conclusion bien-pensante (un éloge de l'Amour), la figure principale du Mal a les traits d'une nonne presque camp, une allégorie de la foi chrétienne travestie en succube. Cette figure – qui hante Lorraine Warren et déjoue son expertise – est la plus belle invention du film : elle est comme un principe immatériel qui circule du passé (Amityville) au présent (Conjuring), traversant les murs des maisons et les espaces-temps. Dans une scène remarquable – sans doute la plus réussie du film – le visage peint de la nonne maléfique se confond avec son ombre sur un mur, sous le regard médusé de Lorraine Warren. On ne peut mieux résumer tout ce qui travaille Le Cas Enfield, film où Wan décline la proposition (paresseuse) d'une visite du musée de l'horreur pour lui préférer le charme d'un théâtre d'ombres, d'une fête des esprits. En toute logique, l'esprit de la nonne n'a plus, dès lors, qu'à décrocher son portrait du mur pour le transformer en masque ricanant. L'horreur rit encore dans Le Cas Enfield, et c'est bien le principal.

Visite d'Amityville (Conjuring: le cas Enfield de James Wan)

Conjuring : le cas Enfield de James Wan

Avec Vera Farmiga et Patrick Wilson (les Warren), Frances O'Connor (Peggy Hodgson)

134 min.

Cet article se joint à deux autres textes consacrés à James Wan, à l'occasion de la sortie, en 2013, du premier Conjuring et d'Insidious 2.

Visite d'Amityville (Conjuring: le cas Enfield de James Wan)