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Notes sur Régression d'Alejandro Amenabar

Notes sur Régression d'Alejandro Amenabar

Notes sur Régression d'Alejandro Amenabar

Le carton qui ouvre Régression indique très solenellement que plusieurs affaires en rapport avec le satanisme ont été recensées aux Etats-Unis dans les années 90. Ce carton trace un horizon d'attente sur lequel se projettent immédiatement les souvenirs de Rosemary's Baby et d'autres films des années 70 hantés par la menace sataniste (comme La Malédiction de Richard Fleischer). On comprend pourtant assez vite – et le dernier tiers du film le confirme – que Régression cherche moins à agiter ce vieil épouvantail qu'à bâtir autour de lui un thriller instable, où l'hypothèse fantastique s'étiole peu à peu pour révéler les mécanismes psychologiques par lesquels une famille américaine invente ses peurs.

Deux récits se chevauchent donc dans Régression. Le premier – le moins intéressant – déploie le bric-à-brac sataniste habituel, à travers des scènes de messe noire où des chats et des nouveaux nés sont sacrifiés dans une grange par les membres d'une secte. Il est étonnant de voir à quel point ces scènes, qui représentent la part fantastique du film, sont bâclées : s'y déploie une iconographie cheap, qui évoque les Caprices de Goya revus à l'aune d'une soirée du paranormal sur la TNT. Il est même possible de penser – au regard du twist qui entraîne la découverte du pot aux roses – que ces scènes sont volontairement bâclées, qu'elles représentent le mauvais film que Régression aurait pu être s'il n'avait été plus subtilement écrit.

Il existe en effet dans Régression une trame plus fine, dont le fil se déroule moins à partir des éléments de l'enquête (une histoire d'abus sexuel dans une famille du Minnesota) qu'à travers les scènes d'interrogatoire. Pour éclairer les souvenirs traumatiques des membres de la famille Gray, l'inspecteur Kenner (Ethan Hawke) s'adjoint les services d'un psychologue, le docteur Raines (David Thewlis). Au duo traditionnel de l'enquêteur et du sidekick, le film préfère une structure plus complexe opposant le bon sens de Kenner aux méthodes pseudo-scientifiques de Raines, c'est-à-dire la rationalité d'un côté et une psychologie fumeuse de l'autre, qui ouvre grand la porte à la fiction sataniste. En interrogeant le lieu d'où naissent les souvenirs, le film révèle en fait qu'il n'y a pas de souvenirs, mais plutôt un lieu ambigu où les psychoses individuelles rencontrent les grandes peurs de l'Amérique.

La satanisme comme métaphore, l'idée n'est pas nouvelle depuis Rosemary's Baby. Le film de Polanski se révèle même inépuisable sur la question, le délire paranoïaque de Rosemary pouvant être vu comme le reflet d'un enfer annoncé par la naissance de son enfant (le thème a été repris récemment dans le médiocre Hungry Hearts), ou comme le souvenir coupable d'une période hédoniste (Rosemary rêve d'orgies au bord de la mer), sur laquelle le couple a tiré un trait pour construire son confort petit-bourgeois.

Régression, sans atteindre cette profondeur psychologique, est un très honnête B Movie, qui détricote peu à peu son scénario fantastique pour mettre à nu tous ses artifices. Le dernier plan du film – très beau – place Ethan Hawke devant la nudité d'un thriller où, en somme, il n'y a jamais eu d'affaire à résoudre. Comme dans Good Kill, l'acteur se retrouve dans la peau d'un héros qui arrive trop tard (1). Et ce n'est pas anodin que le film se situe dans les années 90 – époque du Silence des agneaux et de Seven - presque un âge d'or du genre, vu d'aujourd'hui. Régression ne fait pas semblant d'ignorer cet âge d'or, il ne fait pas semblant de tirer de vieilles ficelles scénaristiques de thriller (comme Les Enquêtes du département V, Les Lieux sombres et Prémonitions, qui sont tous très mauvais). La platitude de son dénouement – au regard des mauvais rebondissements qu'Amenabar aurait pu lui préférer – en fait même une exception assez réjouissante.

Régression d'Alejandro Amenabar est en salle depuis le 28 octobre. 107 min.

(1) Sur le jeu d'Ethan Hawke et son statut d'éternel outsider, voir l'article de Jean-Marie Samocki publié sur le site du Café des images : http://cafedesimages.fr/ceux-qui-saccompagnent-ethan-hawke-et-richard-linklater/