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Vocation perdue (Hippocrate de Thomas Lilti)

Vocation perdue (Hippocrate de Thomas Lilti)

Vocation perdue (Hippocrate de Thomas Lilti)

S'il avait un peu plus d'envergure, Hippocrate pourrait inaugurer une série sur l'état du service public français : on pourrait imaginer qu'un ancien prof réalise un jour Socrate, qu'un magistrat fasse Salomon. Pour les sapeurs-pompiers et la police, il serait plus difficile de trouver un titre aux résonances antiques ou bibliques, mais la formule serait sensiblement la même : 1) L'auteur doit impérativement faire partie (ou avoir fait partie) du corps social qu'il observe, c'est la caution vériste de la fable ; 2) La fable doit mettre en avant une jeune recrue et confronter la pureté de celle-ci à une hiérarchie impitoyable ; 3) La fable doit cheminer vers une certaine désillusion ; 4) Une chanson (le très pénible The Story of the impossible) doit faire passer un peu de douceur et d'espoir dans l'amertume générale, afin que le moral du spectateur ne soit tout à fait pas plombé.

Résumé à ces quatre points – scrupuleusement respectés – Hippocrate fait pâle figure : dans tous ses tournants importants (une erreur médicale au début, la mort d'une patiente en fin de vie que l'on décide de débrancher au milieu, une grève du personnel à la fin), le scénario s'applique à développer des questions éthiques (où commence l'erreur médicale ? qui doit en assumer la responsabilité?) et sociales (les gestionnaires contre le personnel, le système contre les petits soldats). Ces questions sont loin d'être inintéressantes et il faut reconnaître qu'Hippocrate a au moins le mérite de les poser, mais il les pose en usant d'une dramaturgie très faible, qui semble devoir se relancer toutes les demies-heures, à coup d'accidents. Si les deux premiers accidents ne sont pas très intéressants – les morts successives de deux malades sont purement illustratives, elles fonctionnent comme les parties d'un tableau social, d'un état des lieux – le troisième accident concerne plus directement le personnage principal (Vincent Lacoste), il le fera passer symboliquement du côté des malades.

Dans les scènes qui précèdent cet accident, scènes très simples où l'on voit le jeune homme marcher sous la neige avant de revenir à l'hôpital plein d'amertume, Hippocrate se laisse envahir par un désarroi qui est autant celui d'un individu que d'une société. Le jeune interne semble sombrer à la manière du concierge dépressif de Dans la cour : ce ne sont plus les mauvaises conditions de travail ou les compromissions de sa hiérarchie qui le minent, mais quelque chose de plus puissant, quelque chose qui est dans l'air ambiant et que l'on sentait parfois poindre aussi dans La Jalousie de Philippe Garrel: quelque chose qui donne presque envie de mourir. Délaissant, à ce moment, toute ambition didactique ou sociologique, Thomas Lilti dresse le portrait d'un jeune homme d'aujourd'hui qui a perdu ses illusions. Sans doute n'y a-t-il au fond que cela à retenir d'Hippocrate : le regard brumeux de Vincent Lacoste, où peuvent se lire toutes les histoires de vocation perdue.